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Romain Poite : « Nous, arbitres, sommes des bons vivants »

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La tournée d’automne est terminée pour les joueurs et les arbitres. Si nous, hommes en noir, sommes un peu moins connus que les joueurs, on participe tout autant au spectacle. Je vous emmène dans mon univers, sans sifflet, sans cartons.

 

Jeunesse

Tout le monde me le demande : oui, j’ai joué au rugby et même à tous les postes devant mais avec une préférence pour le N°8 où je concluais bien les actions. Ça me permettait de toucher un peu plus de ballons et de tricher sur les courses car je n’étais pas un troisième-ligne coureur. J’aimais bien remuer de la viande au ras. Les mecs qui arrivaient lancés, c’était pour moi. Et comme j’étais parmi les plus pénibles, on m’a mis capitaine dès les Crabos. Et un jour, mon père a dit au petit branleur que j’étais : « plutôt que de faire le con, tu vas aller rendre service en arbitrant et ça te fera fermer ta grande bouche vis-à-vis du mec qui est au milieu. »


Le plaisir d’arbitrer

J’évolue à un niveau que je n’aurais jamais pu fréquenter en tant que joueur. Avec ce métier, j’ai aussi des opportunités incroyables comme de voyager mais j’ai avant tout l’amour du rugby en moi. Je regrette d’ailleurs que les gens nous voient comme des policiers sur le terrain, des empêcheurs de tourner en rond. Et comme nous, Latins, avons un problème avec l’autorité, étant plus truqueurs, l’arbitre a vite fait d’endosser ce rôle de flic. Bon, après, ça tombe bien, c’est mon métier à la base. Mais regardez chez les British, l’arbitre fait vraiment partie du match avec ses qualités et ses défauts. C’est un animateur. Et puis, si deux équipes étaient capables de s’affronter en respectant toutes les règles, il n’y aurait pas besoin d’arbitre. Mais ça me parait compliqué.
Les arbitres sont surtout des mecs qui vivent leur passion. Mais de façon un peu différente que les joueurs ou les staffs. Après, ce que je préfère dans mon métier-passion justement, c’est la spontanéité face à une situation et le fait qu’on est tout de même les premiers spectateurs d’une rencontre.

Arbitrant ici un match de Castres.

 

La pression, les critiques

Même quand on peut avoir une foule de 80 000 personnes hostile à une décision, on n’entend rien tellement on est concentrés par notre match. On est dans notre bulle. Comme les joueurs. Le fait d’être pro ou pas ne garantit pas forcément les meilleures décisions selon les matches. Ça ne fait qu’acheter la paix sociale vis-à-vis d’une certaine expérience. Après, étant un personnage public, il faut accepter d’être jugé parfois par les autres. Et aussi critiqué.

 

Meilleur souvenir

Même si j’ai eu la chance de vivre de nombreux bons moments, j’ai été désigné pour arbitrer la finale de Coupe d’Europe à Cardiff en 2011 entre Northampton et le Leinster. Le toit du Millenium était fermé avec une ambiance et un scénario incroyables. Humainement, c’est le souvenir référence pour moi. Et entre autre car on n’a pas parlé de moi.

 

2013, le plus dur

Forcément, le rapport à l’erreur rappelle de mauvais souvenirs. Je suis cartésien : quand je fais une faute, je l’assume. Le Nouvelle-Zélande – Afrique du Sud 2013 avec ce carton jaune attribué à tort à Bismarck Du Plessis pour une faute sur Carter, suivi d’un rouge par la suite, est probablement mon plus mauvais souvenir avec une polémique folle qui a suivi.
Dans la mesure où nous avons une obligation de résultats, les erreurs peuvent être redoutables pour nous. Je repense aussi à la tournée des Lions en cet été 2017 avec la fameuse ultime pénalité qui aurait pu décider de l’issue de la série. Si tout le monde s’est accordé à dire que j’avais pris la bonne décision, j’étais en colère par rapport au process. Je n’aurais pas dû faire appel à la vidéo. Je me souviens avoir explosé une bouteille d’eau -non périmée ;)- en regagnant mon vestiaire, tant je m’en voulais. Mais la difficulté fait progresser.

Top 14, Europe ou international, Romain Poite est sur tous les fronts. / Photo : Stéphane Operti

 

L’affaire Tian

Je ne regrette en rien la décision. Clairement, on ne peut pas laisser passer, où que ce soit, qu’un mec de trente ans insulte un autre de quarante en faisant référence à sa mère. Je regrette juste d’avoir rajouté de la tension à la tension en répétant ses propos. Mais c’était juste un mauvais moment au mauvais endroit. Après, je peux vous dire qu’à partir du moment où j’ai quitté le stade d’Oyonnax ce jour-là, j’ai refermé le livre. Je n’y repense pas.

 

Evolution de l’arbitrage

L’arbitrage a changé. Il y a vingt ans, c’était du management de comportement, essentiellement. Aujourd’hui, c’est de la technique, de l’analyse du détail. Même si prendre des décisions ou ne pas en prendre vont contribuer à créer un type de match, on ne peut pas comparer les deux époques. Comme il serait stupide de comparer les deux rugbys. La communication, je ne vous en parle même pas…

Avec une caméra sur le tête lors de Stade Français – Toulon en 2013 / Photo : Dave Winter

Leinster – Ospreys lors de la Heineken Cup 2014 / Photo : Ramsey Cardy – Sportsfile

En 2011 avant Racing Metro 92 – Clermont / Photo : Fred Porcu

 

Evolution du rugby français

Evidemment que je suis au fait de tout ce qui se passe et de quelques dérives mais je ne m’intéresse qu’au rectangle vert. J’ai aussi pour habitude que lorsque l’on condamne un système, qu’on le critique, on le quitte.
Niveau contacts, chocs et protocoles, je comprends que les instances réagissent car c’est 12 000 licenciés de moins mais n’oublions pas que le rugby est un sport d’évitement et d’affrontement. A l’instar de la société, est-ce à nous de légiférer ? Est-ce que cela changera les comportements ? Les gens ne sont-ils pas capables de se prendre en mains ? Dans le rugby français, on pense à se rentrer dedans pendant une heure en espérant que des portes vont s’ouvrir dans les vingt dernières minutes. Dans l’hémisphère Sud ou même chez les Celtes, il y a une volonté supérieure de produire du volume de jeu, et pourtant, avec les mêmes règles.

 

Rucks et en-avants

Sur les rucks, on juge tout simplement un rapport de force. Il n’est pas question de privilégier l’attaque ou la défense. Arbitrer ce secteur, c’est comme la mêlée : c’est un super challenge ! Ce sont les deux secteurs que l’on préfère juger. Surtout qu’en Top 14 car ça a de l’importance.
La dernière directive concernant les en-avants a simplifié la règle. La passe va d’un point A vers un point B. Si cette ligne imaginaire va vers l’en-but adverse, il y a en-avant.

 

Les collègues étrangers

Quand l’Anglais Wayne Barnes est très concentré, il est au sommet de son art. Top. Jaco Peyper le Sud-Africain est très fort aussi. J’ai beaucoup de respect pour le Gallois Nigel Owens mais techniquement, ce n’est pas un arbitre si je puis dire. C’est un animateur de match. D’ailleurs, souvent avec ce genre d’arbitres, on a de supers matches.

 

Profiter

Même si je peux ressembler de prime abord au mec avec lequel tu n’as pas envie de passer tes vacances de par mon métier de flic, ma rigueur ou ma réputation, il ne faut pas oublier que nous arbitres, nous sommes des bons vivants. Au gré de mes rencontres, j’aime partager, me faire une bonne bouffe ou boire quelques bières. J’adore aussi profiter de ma famille. Surtout lors des vacances de Pâques ou de juillet. Mais je fais un tel métier-passion que presque, à titre personnel, je n’aurais pas besoin de vacances. Heureusement, ma famille a toujours compris que j’avais besoin de cette passion de ce sport pour vivre même si le rugby leur vole de temps en temps leur mari ou leur papa.


Transmettre

Nous avons aussi un devoir de formation. Régulièrement, je vais dans les comités animer des stages de Top 14 – Pro D2. La FFR nous propose aussi de faire des interventions durant quelques jours dans des régions où il faut inventer le rugby sinon, il n’existe pas. Dans le Nord ce n’est pas comme dans le Sud où comme dans un nid, il n’y a qu’à ouvrir la bouche pour profiter. On garde un lien avec le niveau amateur et on voit des gens différents. Cela me permet de vivre des moments humains uniques qui me changent de mon job d’arbitre.

Romain Poite se prépare avec l’arbitre de Top 14 Pierre Brousset. / Photo : Stéphane Operti


L’avenir

Collectivement, ce serait bien de professionnaliser la structure qui s’occupe des arbitres en France. Et que tous les arbitres des divisions pros le soient aussi. Personnellement, avant d’être pro, je ne me suis jamais donné d’objectifs, préférant suivre le fil de l’eau. Pour autant, j’aimerais participer à la Coupe du monde au Japon, voire disputer un match de phase finale de cette épreuve. Peut-être arbitrer à nouveau une finale européenne. La retraite à 45 ans ? Je pense surtout que quand je ne prendrai plus de plaisir et que je me sentirai plus capable, il sera temps.

 

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